16 octobre 2006

La panique morale de la cybercriminalité

Le quotidien québécois La Presse publie aujourd'hui un article qui frise la mauvaise foi, et qui reflète la panique morale en train de s'établir autour du problème de la cybercriminalité. Le terme de panique morale a été pour la première fois utilisé en 1972 par un criminologue anglais, Stan Cohen, pour décrire:

"...une condition, épisode, personne ou groupe de personnes qui émerge en tant que menace aux intérêts et valeurs sociales (Cohen, 1972, 9). Ces menaces sont décrites de façon sensationnelle par les médias ainsi que d’autres agents de contrôle social, tels que les politiciens, la police ou les leaders religieux, avec l’intention d’établir des paramètres balisant les comportements acceptables (Welch, 2000)" (Neuilly et Zgoba 2005).

Dans l'article de La Presse, on apprend ainsi que la viabilité de la cyberéconomie canadienne serait menacée par la cybercriminalité galopante, et que cette préoccupation émane des plus hautes sphères du gouvernement, puisqu'elle s'appuie sur un document rédigé par des hauts fonctionnaires du ministère de l'industrie. Plusieurs chiffres alarmistes sont cités, dont celui d'un quart des états-uniens sur quatre qui serait chaque mois la victime d'une attaque destinée à voler son identité.. rien de moins! Chaque citoyen de notre voisin du Sud serait donc directement menacé pas moins de trois fois par an, de quoi en effet mettre l'économie dans tous ses émois. Une rapide consultation du site internet à partir duquel ce chiffre est tiré nous éclaire sur ce chiffre: les fonctionnaires fédéraux et le journaliste de La Presse entendent par "attaque visant à voler l'identité d'une personne" les courriels d'hammeçonnage que nous recevons par dizaines chaque semaine dans nos boîtes aux lettres électroniques.

La plupart des utilisateurs d'internet ne prêtent aucune attention à ces pourriels, et de nombreux fournisseurs d'accès les éliminent automatiquement avant même qu'ils atterrissent dans nos boîtes. Si ce type de pratique fait encore hélas toujours trop de victimes, des chiffres beaucoup plus réalistes réunis par le ministère de la justice des USA nous amènent à penser qu'environ 3,5% des foyers ont subi un préjudice financier sur une période de 6 mois en 2004 du fait d'un vol d'identité, et que la médiane des sommes perdues se situait aux alentours de 400$. Ces montants sont en général assurés ou remboursés par les institutions financières. Une augmentation a peut-être eu lieu, mais on reste encore loin de la menace généralisée décrite dans le rapport gouvernemental et l'article en question.

Un autre chiffre censé nous sensibiliser fait état de 40% des canadiens qui évitent d'acheter des biens ou des services sur internet pour des raisons de sécurité. Peut-être que les commerçants de quartier pourront tirer profit de cette situation et que cela permettra de maintenir encore pendant quelques temps des liens sociaux de proximité.
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Mélanie-Angela Neuilly et Kristen Zgoba, « La panique pédophile aux États-Unis et en France », Champ pénal, Responsabilité / Irresponsabilité pénale mis en ligne le 14 septembre 2005. URL : http://champpenal.revues.org/document340.html. Consulté le 16 octobre 2006.

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